« Ce jour-là, le soleil s'est levé… mais pas pour moi. »
Il ne savait plus depuis combien de jours il marchait. Pieds nus, chaînes aux chevilles, la peau abîmée par le sable, le sel et le silence.
Ils l'avaient arraché à son monde d'origine – la Terre – sans prévenir. Il s'était réveillé dans un autre monde, sans aucune explication.
Lui, un simple garçon parmi tant d'autres, aux yeux noirs profonds comme l'abîme.
Trop profonds.
Ses yeux faisaient peur. Ou fascinaient.
C'était peut-être pour ça que les bandits l'avaient capturé.
On l'avait vendu au marché noir comme un bien rare, enveloppé dans un tissu grossier, la tête basse, le regard vide.
Son corps maigre, sa peau pâle et presque translucide, ses cheveux d'un noir si pur qu'ils n'avaient jamais reflété la lumière…
C'était comme s'il absorbait tout.
Et puis, un jour, il est arrivé.
⸻
— « Je le prends. »
Sa voix était calme. D'un calme qui n'admettait aucun refus. Les marchands s'inclinèrent aussitôt, comme si le sol lui appartenait.
C'était lui : Xù Liyan.
Beauté d'or, regard incandescent, peau lisse et trop parfaite. Un prince sans nom.
Un eunuque… mais pas vraiment. Il portait un masque d'élégance, un parfum de mystère.
Quand il entra dans l'enclos des esclaves, même l'air sembla hésiter à bouger.
Xù Liyan posa ses yeux sur l'enfant à genoux.
— « Ton nom ? »
Le garçon ne répondit pas.
— « Tch. Tu ne sais même plus parler ? »
Il s'agenouilla, lui prit le menton.
— « Tes yeux… comme un puits sans fond. Tu n'es pas fait pour cette boue. Tu aurais pu être moi, dans une autre vie. »
Il sourit, se releva.
— « Je te libère par pitié. Tu es moi dans une vie sans privilèges, sans lumière. Alors je t'offre ce que je peux : devenir mon serviteur. C'est tout ce que je peux t'accorder. »
Il jeta une bourse d'or.
Les chaînes tombèrent.
Le garçon était vendu.
Et à cet instant précis, sans qu'il le dise, Ken n'existait plus.
⸻
— « À partir d'aujourd'hui, tu t'appelles Xū Fang. »
Un nom vide. Inventé. Beau. Comme une fleur sans racine.
Ken — non, Xū Fang — fut lavé, parfumé, habillé, transformé.
Il suivait Liyan partout, tel un animal silencieux. Un serviteur. Un meuble. Un ornement.
Mais en lui, une intention brûlait.
Je ne suis pas né pour être un chien. Je vais apprendre. Je vais devenir plus que toi.
Xū Fang observa Liyan en silence. Chaque geste. Chaque mot. Chaque sourire calculé.
Il comprenait : Liyan ne brillait pas juste par sa beauté.
Il avait du pouvoir. Il savait manipuler. Dominer. Séduire.
Alors Xū Fang décida :
Il allait tout copier.
Tout absorber.
Un jour, il se hisserait à son niveau.
Puis il le dépasserait.
Ce serait lent. Douloureux. Humiliant.
Mais ce serait fait.
⸻
Une nuit, alors qu'il préparait le thé, Liyan le fixa longuement.
— « Tu sais que je t'ai choisi parce que tu es ce que j'aurais été… si je n'étais pas né dans la bonne famille ? »
Xū Fang baissa les yeux.
— « Je sais. »
— « Tu n'auras jamais ce que j'ai. Tu le sais aussi ? »
Un silence.
— « Pas encore, » murmura-t-il.
Liyan rit doucement. Puis il quitta la pièce.
Xū Fang resta seul, face à sa propre ombre.
Et dans cette ombre… un éclat de haine.
⸻
Fin du Chapitre 1